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Mélenchon, Robespierre et Assassin's Creed

 

Récupération politique ou incompréhension ?

Ah ! Ca faisait longtemps qu'un jeu vidéo n'avait pas été pris dans la tourmente médiatique et politique.

Et cette fois-ci, c'est le très attendu Assassin's Creed Unity, sorti cette semaine sur les consoles Next-Gen et sur PC, qui en a fait les frais.

 

Que lui reproche-t-on ?

Sa violence ? Pour une fois non.

Son manque de personnage féminin jouable ? (polémique née du fait de ne pas pouvoir incarner de personnage féminin : 

http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/06/12/ubisoft-accuse-de-sexisme-dans-le-developpement-d-assassin-s-creed-unity_4436373_4408996.html

Non, ce qui est au coeur du débat ici, c'est la façon dont UBISoft, le plus gros développeur français, a semble-t-il abordé la période historique de ce nouvel opus, à savoir la Révolution Française.

 

Mélenchon VS Assassin's Creed

 

Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière, membres du Parti de Gauche, se sont en effet insurgés contre ce jeu à plusieurs reprises dans les médias.

Ils s'en prennent bien entendu au traitement qu'il offre de la Révolution, période sacrée pour l'extrême gauche française.

 

Arrêtons-nous sur les propos de Mélenchon qui sont, comme souvent avec lui, toujours très modérés.

Ainsi, selon lui, ce jeu insulte cette période de l'Histoire : «Le dénigrement de la grande Révolution est une sale besogne pour instiller davantage de dégoût de soi et de déclinisme aux Français. Si l'on continue comme ça, il ne restera plus aucune identité commune possible aux Français à part la religion et la couleur de peau.» (http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2014/11/13/25002-20141113ARTFIG00300-un-responsable-du-parti-de-gauche-denonce-la-propagande-d-assassin-s-creed-unity.php).

 

Wow, Mélenchon m'oblige à citer le Figaro ! Je ne sais pas vous, mais entre Zemmour qui accuse Hélène et les Garçons d'être à l'origine du "déclin français", et Mélenchon qui accuse un jeu vidéo de vouloir détourner les Français de leur culture historique, je trouve qu'on nage en plein délire. A quand Marine Le Pen jugeant que Tom & Jerry sont responsables de la recrudescence des mouvements djihadistes en France ?

 

UBISoft serait-il un repaire de Templiers conspirateurs ?

 

Mais que reproche Mélenchon plus précisément à UBISoft ? Sur les ondes de France Info, il dénonce surtout le traitement que le jeu semble réserver à Robespierre, l'un des leaders de la Révolution :

«C'est de la propagande contre le peuple. Le peuple, c'est des barbares, des sauvages sanguinaires. Et celui qui est notre libérateur à un moment de la Révolution, Robespierre, est présenté comme un monstre. On dénigre pour dénigrer ce qui nous rassemble, nous les Français. C'est une relecture de l'histoire en faveur des perdants et pour discréditer la République une et indivisible

 

Wow ! "Propagande contre le peuple" ? Rien que ça ! Faut pas toucher aux idoles de Jean-Luc.

Robespierre selon Tony Moore et Rob Zombie

Mélenchon poursuit en précisant que le peuple est montré comme une foule monstrueuse alors que la noblesse, et les membres de la famille royale bénéficient d'une image bien plus sympathique.

 

Alors que s'est-il passé ? Mélenchon aurait-il joué au jeu pour se forger une opinion ? En vérité, Alexis Corbière et lui semblent avoir basé leur diatribe sur un trailer un peu particulier du jeu réalisé par Rob Zombie (métalleux et réalisateur de films d'horreur) et Tony Moore (l'un des artistes de la BD The Walking Dead). Vu les deux personnages, autant vous dire que leur vision de la Révolution est nécessairement sanglante, et emploie les codes des Graphic Novels :

Le trailer sanglant qui a réveillé les membres du Parti de Gauche

Certes, ce trailer est violent. Certes il fait quelques raccourcis historiques, mais bon, c'est un trailer, hein ? Pas un article d'une revue spécialisée. De plus, niveau travestissement des idéaux de 1789, je pense que 1789, les amants de la Bastille devrait bien plus mériter sa place sous la lame de la guillotine.

Revenons au trailer. Contrairement à Mélenchon, je ne vois pas une seule seconde de la complaisance envers la noblesse ou la personne du roi. Bien au contraire d'ailleurs, je trouve même leur traitement plutôt caricatural.

 

Nouvelle instrumentalisation de l'Histoire

 

Ce qui semble déranger le Parti de Gauche, c'est donc bel et bien qu'on écorne l'image de Robespierre.

Et là-dessus, désolé M. Mélenchon, mais Assassin's Creed Unity n'est pas et ne sera pas le seul à présenter Robespierre comme un personnage irrémédiablement lié à la Terreur. Pour rappel, la Terreur est cette période de la Révolution courant de 1793 à 1794 où avec la prise de pouvoir des Montagnards autour de Robespierre, on assiste à une radicalisation des mouvements révolutionnaires. Parmi les mesures prises, c'est bien la Terreur policière et politique avec ses tribunaux révolutionnaires et l'exécution en masse de nombreux "suspects" qui reste tristement célèbre.
Il est indéniable que Robespierre ait participé à la Terreur, tout comme il est indéniable qu'il fut l'un des grands hommes de cette Révolution et de ces idéaux. C'est souvent ce qu'on a tendance à oublier quand on veut réécrire l'Histoire et l'instrumentaliser. La dualité de l'Homme existe aussi chez les grands personnages historiques, et il ne faut ni les encenser, ni les dénigrer. Robespierre est un grand républicain et un dirigeant politique qui s'est laissé emporter par ses idéaux au point d'écrire la page la plus sanglante de la période révolutionnaire.

Mais pas un seul journaliste pour contredire Mélenchon sur le sujet. Il est notoirement connu qu'il a une grande culture historique et que, bon, il doit avoir raison, quoi.

Arno, le nouveau protagoniste d'Assassin's Creed

 

Ce que les jeux d'Assassin's Creed nous disent sur le peuple

 

Ce qui est assez étonnant, c'est que quiconque ayant déjà joué à un opus précédent d'Assassin's Creed sait pertinemment que les gars d'UBISoft n'ont jamais véhiculé la moindre idée anti-peuple. Bien au contraire.
Rappelons que la saga des Assassins propose aux joueurs de parcourir diverses périodes de l'Histoire (Croisades, Renaissance, Révolution américaine...) en en proposant une relecture scénaristique fantaisiste mais plutôt brillante. Il s'agit du combat éternel entre deux factions secrètes; dont l'écho des batailles serait à l'origine des plus grands épisodes de l'Histoire de l'Humanité.

A ma gauche, les Assassins, ceux que vous incarnez, ardents défenseurs de la liberté des peuples à disposer d'eux-même.

A ma droite, les Templiers, partisans de l'ordre à tout prix, quitte à sacrifier la liberté.

Ce qui est hautement intéressant dans ce combat, c'est qu'on est loin du manichéisme classique du "Bons contre Méchants". De l'aveu même des développeurs et créateurs de la saga, il s'agit là de deux visions du monde qui s'affrontent, chacun ayant la même finalité, la paix et le bonheur du peuple.

D'ailleurs, comme le dit John Truby dans Anatomie du scénario, un bon antagoniste doit affronter le héros tout en poursuivant le même but que lui.

Avouons malgré tout que la sympathie naturelle des joueurs se tourne vers le clan des Assassins, avec des personnages aussi charismatiques qu'Altaïr ou Ezzio. 

 

Donc pour résumer, on peut dire que les attaques du Front de Gauche tombent complètement à côté de la plaque puisque d'une part, Robespierre n'était pas un gentil Télétubbie n'ayant pas pris par à la Terreur, et d'autre part, que les jeux Assassin's Creed prennent clairement la défense du peuple face à des dirigeants qui veulent leur ôter la liberté.

 

Donnons cependant un peu de crédit à Mélenchon et Corbière qui n'en ont pas profité pour lancer l'opprobre contre le monde du jeu vidéo. Bien au contraire.

Après avoir avoué qu'il ne jouait pas aux jeux vidéo, Mélenchon, dans son interview sur France Info, précise qu'il "prend au sérieux les jeux vidéo. C'est une forme d'expression artistique. C'est la forme du roman, ou du moins du roman d'action".

 

N'oublions pas qu'un jeu vidéo reste un jeu vidéo, et qu'en tant qu'historien, le travail historique réalisé pour les Assassin's Creed m'a toujours grandement satisfait. Certes, le traitement de l'Histoire y est forcément fantaisiste, mais le contexte des différentes époques est toujours juste et nuancé.

 

Et surtout, n'oubliez pas que "Rien n'est vrai. Tout est permis".

 

Publié le 15 novembre 2014

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